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Depuis longtemps, les femmes et la moto entretiennent une relation d’attirance et de répulsion. En effet, la moto est, au départ, une affaire d’hommes. Dans une vision ancienne, voir archaïque, de la répartition des tâches entre les hommes et les femmes, il est évident que la moto, véhicule dangereux, bruyant, solitaire, lourd, porteur d’une forme d’idéologie comparable à celle du cow-boy… n’a rien à voir avec la femme à laquelle restait attachée l’image rassurante du foyer, de la sédentarité, de la stabilité et de la maternité. Cela n’a toutefois pas empêché les femmes de se rapprocher de la moto, moins en tant que motardes qu’en tant qu’ornement. C’est ainsi qu’est née au vingtième siècle la figure de la Bimbo, jeune femme aux cheveux longs et aux formes généreuses qui mettait en valeur celle de la moto. Réciproquement, le deux roues constituait une sorte de support idéal pour accueillir les jeunes femmes dans des positions langoureuses. La publicité, les magazines, la photographie, la littérature… ont épuisé cet imaginaire de la bimbo jusqu’à plus soif. De nos jours, heureusement, cette vision archaïque du lien entre féminité et moto semble dépassée et devient plus complexe. Même si les motards sont encore majoritaires, on voit de plus en plus de femmes au guidon sur les routes et nous ne pouvons que nous en féliciter: elles représentent ainsi 15% des nouveaux titulaires du permis A en 2021. Nous interrogerons dans cet article ce qu’est être une motarde en 2022.
Des motardes respectueuses
Nous l’évoquions en introduction : la moto, née au dix-neuvième siècle, était rattachée à l’origine à l’imaginaire du cow boy américain, lequel passait de longues heures seules dans les plaines, loin de son foyer. Aussi caricaturale soit-elle, cette image est restée ancrée et a participé à l’émergence des premiers groupes de motards dans la première moitié du vingtième siècle. Ces clubs, les plus connus étant les Hells Angels, les Bandidos, les Pagans ou les Mongols, encore bien vivants et actifs dans le monde, organisés en chapitres plus ou moins confidentiels, se réunissent régulièrement lors de “runs” et font malheureusement parler d’eux par de nombreuses exactions : trafic de drogue, attaques à main armée, trafic d’armes, meurtres, dégradations… L’un des rares points communs qui les rassemble tous reste le fait qu’aucune femme n’est admise au sein du groupe. Elles peuvent accompagner les motards, monter à l’arrière des motos, mais en aucun cas elles ne seront admises en tant que membre . Cette misogynie est d’ailleurs difficilement explicable, dans la mesure où aucun site ne le dit franchement, tout se passe comme si cela était une évidence, selon ce vieux poncif selon lequel les femmes, comme dans le mythe de la pomme biblique ou de la guerre de Troie, n’amèneraient que la discorde et les jalousies. Cela est presque amusant: comme si les motards avaient besoin d’elles pour se disputer et se battre. Ce goût pour le danger et pour les actions violentes ne semble pas, en tout cas, être celui des femmes en général, qui préfèrent considérer la moto comme un plaisir à part entière, libéré de toutes ces problématiques masculines qui leur paraissent futiles, à savoir le positionnement que les hommes adoptent les uns vis-à-vis des autres, la nécessité de systématiquement prouver sa valeur par des actions violentes, le besoin de se mettre en valeur… Il n’existe pas à notre connaissance de gang de motardes comparable à ceux fondés par les motards, simplement parce qu’elles n’en n’éprouvent probablement pas le besoin. Les motardes sont très certainement beaucoup plus respectueuses des valeurs communes, ainsi le respect du code de la route, la sécurité, la solidarité face à une activité aussi dangereuse que la moto sont des valeurs qui semblent plutôt être défendues par les femmes. Nous nous en félicitons.
D’autres valeurs
De fait, évoluant dans un univers masculin, les motardes éprouvent également le besoin de se rassembler pour promouvoir d’autres valeurs, qui semblent dépasser largement le milieu de la moto. La défense des droits de la femme, fortement mise en avant depuis quelques années grâce au mouvement mondial Me Too, ayant débuté en 2017 suite aux accusations de viol contre le producteur américain Harvey Weinstein, est l’occasion pour les motardes de faire valoir leurs droits face à un univers très masculin selon lequel les femmes seraient incapables de conduire une moto, bien trop puissante et trop lourde pour leurs petits corps frêles et fragiles. Les chiffres prouvent d’ailleurs l’inverse, dans la mesure où le taux de réussite au permis moto est le même pour les hommes et pour les femmes. De plus, selon les derniers chiffres de la sécurité routière, les accidents impliquant les femmes sont beaucoup moins nombreux que ceux impliquant des hommes, et ce proportionnellement au nombre de femmes circulant à moto. Ainsi, le deux roues constitue un champ d’action idéal pour les revendications féministes, il s’agit pour les femmes de mettre un pavé dans la mare et de démontrer, c’est triste qu’il en soit encore besoin, que les femmes sont au moins aussi compétentes que les hommes. N’oublions pas que les femmes évoluent quotidiennement dans un univers discriminatoire de violence et d’inégalité. Les inégalités salariales, la taxe rose, le harcèlement de rue… les raisons pour les femmes de lutter sont hélas très nombreuses. De nos jours, le simple fait d’être une femme suffit à subir la violence des hommes. En 2021, 113 féminicides, c’est-à-dire meurtres commis sur des femmes par leur conjoint ou ex-conjoint, sont à déplorer en France. Par conséquent, faire valoir ses droits à moto est politiquement très fort. En témoigne l’association “toutes en moto”, dont les rassemblements annuels amènent de plus en plus de participantes. Les dons récoltés lors de ces défilés, quatorze villes de France tout de même, sont offerts à des associations de défense des droits des femmes. Ainsi, être une femme en moto, c’est aussi être une militante et se battre pour des valeurs féministes, loin des actions illégales et des problématiques de virilité dans lesquelles les motards ont tendance à s’embourber.
D’autres motos
Dans une perspective de réciprocité, plus il y a de femmes qui conduisent des motos, plus les constructeurs et les fabricants de matériel ont su s’adapter à ce marché émergent. Cela est cohérent, dans la mesure où les constructeurs trouvent une clientèle renouvelée avec de nouveaux enjeux aussi bien techniques qu’esthétiques. En témoignent des motos qui sont de plus en plus légères, avec une assise un peu plus basse, un centre de gravité rabaissé, et qui deviennent de plus en plus confortables et agréables à piloter. On ne peut pas vraiment parler, et heureusement, de motos destinées aux femmes par opposition à des motos destinées aux hommes, mais l’arrivée des femmes sur les routes a permis de faire bouger les lignes de ces motos extrêmement lourdes, hyper puissantes et peu maniables, que les constructeurs avaient tendance à proposer. Il n’y a que dans le domaine des customs, des grosses cylindrées rutilantes, où quelques marques américaines dominent le marché, que les choses n’évoluent pas tellement. Cela n’est pas très étonnant dans la mesure où la clientèle de ces motos reste essentiellement masculine, mais la majorité des constructeurs propose depuis quelques années des modèles bien plus abordables à tous les points de vue. De même, le marché des blousons, des casques et de l’équipement général de la moto se diversifie de telle sorte qu’il y a plus de couleurs et que les fabricants travaillent sur le confort des vêtements. Le travail sur la sécurité des casques a également été renforcé, de même que ces derniers deviennent plus confortables et plus légers, avec des systèmes de navigation embarquée qui sont appréciables. Il est dommage, d’ailleurs, d’avoir attendu cette démocratisation pour que les constructeurs et les fabricants se mettent à l’écoute des motards et des motardes. Ainsi, les femmes ont permis une forme de libération, comme s’il avait fallu casser certains codes et revenir aux fondamentaux.
Conclusion
Nous l’avons compris, les choses sont en train de changer dans l’univers de la moto. Les femmes sont arrivées sur les plates-bandes jusque-là destinées aux hommes, et c’est une excellente chose. Cela permet de désamorcer beaucoup de conflits inutiles, de ramener cette passion commune aux choses essentielles, à savoir le respect, la sécurité, le partage. Il ne s’agit pas de tomber dans une forme d’angélisme béat, mais de remettre l’église au centre du village. Le temps des cow-boys est dépassé, et cet imaginaire, aussi productif qu’il a été, doit être relégué aux oubliettes. Les motards feraient bien de s’inspirer, pour la majorité d’entre eux, du comportement responsable et engagé de leurs homologues féminines, ainsi l’univers du deux roues deviendrait un univers bien plus fréquentable.